Cévennes: les vallées du capitalisme vert

Offensive Libertaire et Sociale n°22 Dossier "Nous voulons la terre"

Les Cévennes se transforment en laboratoire du capitalisme vert. Ce processus de modernisation illustre bien le sort dédié à la ruralité à l’heure de la pollution généralisée et du développement durable. Malgré cette volonté de normaliser un territoire pour le rendre rentable, insoumission et résistance fleurissent.

Les Cévennes sont touchées par l'entreprise de restructuration et de modernisation capitalistes à l'œuvre sur l'ensemble du territoire (et plus largement dans le monde), – processus que la dite crise dont on nous rebat les oreilles a peu de chance d'enrayer. Au contraire : loin du cliché romantique des terres inhospitalières peuplées d'hommes et de femmes rugueux, cette vaste zone, contrefort sud du massif central qui s'étend sur plusieurs départements (Gard, Lozère, Ardèche, Hérault), est un laboratoire et une vitrine « grandeur nature » des nouveaux oripeaux du capitalisme, sa version « durable » vantée par les politiques de tous bords, jusqu'au sommet de l'Etat, et très en vogue parmi les citoyens qui en ont les moyens. Les superbes paysages qui jalonnent ces contrées ne sont plus qu'un argument publicitaire pour attirer le chaland-touriste, comme en témoigne la dernière campagne de promotion de la Lozère qu'on a pu entendre sur les ondes de France-Inter aux mois de mars-avril 2009. La rusticité du cadre de vie est quant à elle mise en avant pour encourager l'implantation de cols blancs, bobos et autres adeptes des nouvelles technologies (grâce au télétravail par exemple), qui espèrent ainsi échapper au désastre écologique et sanitaire général ; alors même que cette région n'échappe pas plus que les autres à la pollution (anciennes mines de charbon, uranium, plomb argentifère, rivières contaminées aux métaux lourds, etc).
D'un point de vue structurel, ce sont les entreprises et les institutions qui investissent avec entrain le créneau moderne et high-tech du capitalisme vert, dont l'essor est le pendant du redéploiement, à l'échelle planétaire, de ses formes industrielles plus classiques et moins « écologiques ». A ce titre, les Cévennes illustrent bien le sort dédié aux zones dites rurales, et plus spécifiquement celles de basses et moyennes montagnes. Elles forment la toile de fond champêtre de la sinistre farce recyclée par le pouvoir, et désormais recyclable par nous-mêmes : celle des rapports sociaux d'exploitation, de domination et de dévastation du vivant.

Réprimer et normaliser
Une politique de normalisation et d'aseptisation du territoire constitue la marche logique du développement capitaliste. Elle s'accompagne nécessairement d'une politique de répression contre ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s'adapter aux injonctions du système marchand.
A l'image d'autres zones escarpées, les Cévennes abritent de nombreuses constructions illégales : cabanes de fortune ou plus sophistiquées, campements improvisés sur des terrains prêtés, squattés ou même dûment acquis mais ne répondant pas aux normes d'habitation ; yourtes, tentes et camions. Des terres et mas abandonnés depuis des décennies sont aussi occupés illégalement, comme ce fut le cas en Basses-Cévennes ces dernières années (la Carrière, la Picharlerie, le Prat del Ronc, et sans doute bien d'autres). A tous ceux-là indistinctement, l'Etat oppose dès 2002 sa Mission interministérielle d'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, et, dès 2005, son Guide et ses 43 fiches pour « Traiter le phénomène de cabanisation », enjoignant région, département, communes et tous leurs appendices (justice, gendarmerie, services sociaux, etc.) à repérer, ficher, démanteler et réprimer ces nuisances paysagères, sous couvert de bon ordre sanitaire. Les procès, les expulsions et les destructions se multiplient, ainsi que les incendies de cabanes, les rondes d'hélicoptères et les tentatives communales sournoises de recensement, au prétexte d'améliorer l'« habitat insalubre ». L'heure n'est plus au mythe du « bon sauvage » mais à celui du dangereux clandestin, comme l'illustre la propagande autour de l' « affaire » Xavier Fortin, ce père de famille jugé pour avoir prétendument enlevé ses deux fils, et qui a vécu avec eux, entre autres, en Cévennes.
Autre application très concrète de cette « normalisation » : la réforme en cours des parcs nationaux, ici du Parc national des Cévennes (PNC). Le PNC, le seul de l'Hexagone à être habité dans sa zone « centre », est désormais voué à devenir un grand parc éco-touristique, peuplé d'éco-entrepreneurs. Il s'agit de rompre définitivement avec les dernières bribes existantes d'économie paysanne et d'autosubsistance (habitat, activités agricoles et pastorales, cueillettes, coupes de bois, etc.), et de convertir tout ce beau monde aux joies du tourisme vert et du « développement durable », ou de faire dégager ceux qui ne s'y plient pas. Foin des archaïsmes ! Vive les sports nature, les gîtes et les produits terroir, qui eux trouvent grâce et subventions aux yeux de l'Etat. Une manifestation contre la réforme du PNC a réuni, en août 2008, 1000 personnes à Florac (sous-préfecture de Lozère).
Ici comme ailleurs, la question de l'habitat se pose donc. Dans ces régions montagneuses, elle est liée à la question de l'accès à la terre, des diverses activités qu'on peut y développer et des bribes d'autonomie matérielle qu'elles permettent (alimentaire, énergétique, médicinale, etc.). Mais le regain d'intérêt économique pour ces zones - marchés prometteurs du capitalisme vert -, et la spéculation foncière qui l'accompagne, ont transformé, pour beaucoup d'habitants ces dernières années, l'accès à ces besoins vitaux en un combat contre la machine étatique et administrative (vie et terres chères, normes draconiennes pour l'habitat, la culture, l'élevage, etc.). Des mobilisations, des complicités et des expressions de solidarité, de nombreuses discussions publiques et des moments réjouissants (cf. chronologie ci-contre) brisent ainsi régulièrement le cours des choses.

Un territoire-entreprise
Avec la normalisation du territoire, se met en marche le rouleau compresseur des politiques de rentabilisation et de profit. Les pistes en terre sont goudronnées, les routes élargies (2x2 voies), les montagnes désenclavées : consommateurs et marchandises doivent circuler, vite, et partout. Le territoire devient une petite entreprise au développement de laquelle les habitants sont sommés de participer. L'agro-industrie n'étant pas possible sur ces terres escarpées et souvent arides, on fait dans l'agro-tourisme : accueil estival, mêlé à une offre de produits « terroir » aseptisés par les normes et vendus à prix d'or, éco-randonnées et « patrimoine naturel ». Le marché de l'immobilier surfe allègrement sur cette vague « nature » : les fermes deviennent des gîtes avec tables d'hôtes ; les hameaux sont retapés en cossues résidences pavillonnaires désertées dix mois par an ; les terres arables, changées en terrains de camping et supermarchés – bio pour les vacanciers et pour les mieux lotis, discount pour les autres.
La forêt est plus que jamais un capital à exploiter : plantations rentables de pins (qui acidifient et assèchent les sols), coupes rases qui serviront, à coups de grumiers de 38 tonnes, à alimenter, entre autres, les nouvelles chaufferies à plaquettes, subventionnées et labellisées « énergie durable ». Mende (préfecture de la Lozère) doit devenir la ville pilote en Europe chauffée au bois : de juteux marchés en perspective pour cette filière.
Des parcs de loisirs sont créés (Parc Mercoirol, sur une ancienne mine !). De nouveaux parcs naturels régionaux (PNR) sont en voie de création (PNR Aubrac). La France postule à l'inscription sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO de l'espace « Causses Cévennes », au titre de paysage culturel.
Le développement des nouvelles technologies accompagne cette logique et rafle la mise des subventions et budgets locaux. Les antennes-relais de téléphonie mobile et leurs ondes cancérigènes poussent sur les crêtes. Pour ceux qui n'ont pas la chance d'être couverts, on développe le Wi-fi rural (Wimax). Des pépinières d'entreprises dédiées au numérique fleurissent quant à elles (Pôle lozérien d'économie numérique, POLEN), en toute saison.
Mais ce contrôle et cette mainmise durables sur le territoire et ses habitants ne se font pas dans la parfaite soumission participative escomptée. Des textes critiques circulent sur tous ces sujets, émanant d'individus, de collectifs ou groupes informels, voire d'associations locales contre des projets ponctuels. Des actions de perturbation de grands-messes à la gloire du « développement durable » ont lieu de-ci de-là. Des occupations de chantiers se tiennent, comme ce fut le cas récemment sur le massif de la Vieille Morte, contre un chemin d'exploitation forestière qui permettra en réalité une future coupe à blanc, et, dans son sillage, la destruction de l'écosystème et des activités de cueillette des habitants. Des antennes-relais en construction subissent parfois l'ire d'opposants anonymes. Des salariés se mettent en lutte contre la fermeture ou la délocalisation d'entreprises (collants Well, usine Jallatte, conserverie de champignons à Branoux-les-Taillades).

La ruralité, au grand dam des âmes bucoliques, est un cadre vidé de contenu spécifique et plaqué sur un mode de vie uniformisé et massifié. Seuls quelques « anciens », et des réfractaires à ce monde continuent d'y mener des activités non marchandes, tendant à l'autosubsistance et à l'autonomie. Celle-ci doit d'ailleurs être conçue comme une tension, et n'est pas séparable de l'auto-organisation des luttes nécessaires pour y parvenir. Car on ne s'extrait pas de ce monde. De nombreuses perspectives de luttes existent en « zones rurales », où sont pratiquées, comme ailleurs, les prises d'ADN au moindre écart civique, les délations et les arrestations de sans-papiers dans les écoles et mairies des villages, la traque antiterroriste dans les montagnes, contre des Basques ou autres, etc. Il convient donc d'avoir un discours et des pratiques clairs, non récupérables par l'Etat et ses médiateurs en tous genres, puisqu'il est dit désormais que le pouvoir intègre et recycle tout, même la contestation, lorsqu'elle est partielle et aux couleurs du citoyennisme « participatif et responsable ». L'autonomie et l'auto-organisation sont indissociables d'un processus révolutionnaire de destruction de l'Etat et de démantèlement de la société techno-industrielle.
En réalité, soyons sûrs que ce qu'il y a de durable dans cette arnaque c'est le développement de leur fric et de leur pouvoir, la mainmise sur (les moyens de) nos existences, notre exploitation et notre misère.
Soyons donc de notre côté perpétuellement insoumis et incontrôlables.
Quelques barbares sur les montagnes

A lire
Site d'info du collectif en Cévennes : lapicharlerie.internetdown.org
Parution autochtone : Bulletin de contre-info en Cévennes contreinfo7.internetdown.org

Diffusion d'info (mailing list) des luttes dans les Cévennes
et alentour: IACAM http://listes.rezo.net/mailman/lisinfo/iacam

Chronologie aléatoire de quelques événements récents ...
Été 2007 : expulsion et destruction de La Picharlerie, occupée illégalement depuis 2002. Assemblées, manifestations et actions ponctuent la saison estivale. A l'issu de l'été, création d'un collectif en Cévennes.
Mars 2008 : procès pour « construction illégale d'un habitat familial de type yourte » intenté contre Eric. Mobilisation lors du procès.
Mars : numéro 1 du Bulletin de contre-info en Cévennes (parution quasi-mensuelle).
6 avril : le salon de l'écotourisme, à Florac, est troublé par quelques brebis galeuses.
11 avril : procès contre les occupants « sans droit ni titre » du Prat del Ronc. Le procès est bruyamment perturbé. Report.
12 avril : ouverture d'un potager et d'un champ de pommes de terre collectifs à La Borie.
16 mai : des occupants temporaires de l'ancienne gare de Florac font carnaval dans les rues, à l'occasion de la mascarade judiciaire qui conduit à l'avis d'expulsion du Prat.
22 juillet : expulsion des occupants avec destruction des jardins.
24 juillet : encombrement de cartons au marché de Florac, occupation de l'agence immobilière.
Juillet 2008 : manif à Sète contre le Centre de rétention.
Août 2008 : ouverture de la Bibliothèque-infokiosque du 152 Grand’rue à St-Jean-du-Gard (livres, discussions, projections, ...).
Août / septembre : construction d'une yourte à usage collectif à la Borie (projections, réunions, soirées-débats, ateliers, etc.).
Novembre 2008 : Manifestation à Mende contre les expulsions de sans-papiers.
Janvier 2009 : Inauguration d'un ciné-club gratos à la yourte de la Borie.
Février 2009 : Manif contre le Centre de rétention administrative de Nîmes.
Mars 2009 : Mobilisation contre un chantier de chemin d'exploitation forestière sur le massif de la Vieille Morte.

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